Le dernier volume des Œuvres de Jaurès vient de paraître. Il concerne la période allant de 1912 au 31 juillet 1914, date de l’assassinat du leader socialiste à l’aube du conflit mondial. Intitulé Guerre à la Guerre ! et coordonné par Marion Fontaine et Christophe Prochasson, il permet de suivre le parcours de Jean Jaurès dans une période marquée par les menaces de guerre et les aspirations à la paix. Mais la période est également marquée par une vie politique intense et un développement important de la SFIO. A l’occasion de cette sortie, Gilles Candar, président de la Société d’études jaurésiennes revient sur l’aventure de la publication des Œuvres de Jaurès.
1/ Pouvez-vous revenir sur la publication de l’ensemble des 17 volumes des Œuvres de Jaurès : d’où est venue l’idée ? Comment cela a été réalisé ?
L’idée est ancienne ! Elle date du temps de Jaurès au moins pour ses Discours parlementaires puisque parut en 1904 un tome 1er, resté unique, pour la période 1885-1889 et l’année 1893. L’idée fut reprise après l’assassinat de Jaurès, pendant la guerre et au moment de sa panthéonisation. Jaurès orateur, mais aussi Jaurès penseur, Jaurès politique… ne fallait-il pas en garder une trace ? Voire continuer à l’interroger et à l’entendre ? Une première série de volumes parut au cours des années 1930 : 9 au total sur la vingtaine prévue chez Rieder (éditeur : Max Bonnafous). Le projet reprit consistance quand fut fondée en 1959 la Société d’études jaurésiennes. Il fallait définir ce qui était recherché, se mettre d’accord et travailler, convaincre un éditeur. Fayard finalement accepta la tâche et les premiers tomes parurent en 2000.
2/ Quelles sont les caractéristiques des volumes ? S’organisent-ils autour de thématiques ou suivent-ils l’ordre chronologique ?
Le plan est plutôt chronologique, avec à l’intérieur de chaque volume des regroupements thématiques. Il existe cependant quelques tomes essentiellement thématiques même si cela correspond parfois aussi à des périodes déterminées de la vie de Jaurès : Philosopher à trente ans autour des thèses (tome 3), L’Armée nouvelle (tome 13), la critique littéraire et artistique (tome 16) et enfin un volume un peu décalé, tourné vers l’avenir, avec quelques questions de civilisation pourrait-on dire : Le pluralisme culturel (tome 17). Mais la majorité des volumes sont construits chronologiquement, des Années de jeunesse (1876-1889) à Guerre à la guerre ! (1912-1914).
3/ Un ensemble de 17 volumes, et pourtant cela ne représente pas l’ensemble des œuvres écrites de Jaurès, pourquoi un tel choix ?
Les Œuvres dites complètes le sont rarement. Pour un homme public, cela n’aurait pas grand sens de reprendre les moindres échos des paroles prononcées au sein de l’hémicycle, la totalité des articles de presse qui avaient aussi une mission informative, qui suivaient l’actualité et se répétaient parfois. Cela ferait plus de cent volumes, un fatras qui brouillerait tout et rendrait Jaurès inaudible. C’est un peu la leçon que donne Balzac à propos de la peinture dans Le Chef d’œuvre inconnu. Nous nous sommes mis d’accord sur un choix raisonné, qui permet de prendre connaissance de la pensée et de l’action de Jaurès. En outre, les volumes de l’Histoire socialiste ne sont pas concernés par notre édition : l’histoire de la Révolution est une œuvre magistrale, mais intelligible seulement en suivant le travail d’édition réalisé postérieurement par Mathiez et Soboul : il faut donc se référer à l’édition des Éditions sociales. Il faut aussi prendre en compte L’intégrale des articles parus dans La Dépêche de Toulouse, réalisée par Rémy Pech et Rémy Cazals, avec Jean Faury, Alain Boscus, Jean Sagnes et Georges Mailhos.
4/ Reste-t-il des écrits de Jaurès à découvrir ?
Mais nous invitons le lecteur à le faire car notre édition critique, annotée et pourvue d’index, comprend aussi à chaque fois la liste qui se veut totale des écrits ou interventions de Jaurès au cours de la période concernée, que le lecteur peut aller retrouver s’il s’intéresse à un problème particulier. Et oui, on découvre encore soit des lettres oubliées, soit des articles non repérés, dans des revues étrangères notamment. Les Cahiers Jaurès les publient alors. Les archives municipales de Toulouse ont pu acquérir l’automne dernier une très intéressante lettre de Jaurès de l’été 1891 sur la grève des traminots de Toulouse et ses conséquences qui me semble-t-il n’était jusqu’alors connue d’aucun historien.
5/ Parmi les volumes, avez-vous quelques préférés ?
L’édition est placée sous la responsabilité de la Société d’études jaurésiennes. Ce n’est pas une clause de style. Madeleine Rebérioux tenait à ce que ce soit une œuvre collective, diverse et même plurielle. Pour reprendre en souriant des mots de Jaurès, transposés de sa conclusion de Pour la Laïque (1910), nous pourrions prétendre que le lecteur a le droit d’être éclairé par tous les rayons qui viennent de tous les côtés de l’horizon jaurésien, et la fonction des coordonnateurs (Madeleine Rebérioux et moi), c’est d’empêcher l’interception d’une partie de ces rayons. C’est ce qui fut assuré par la subtile diversité des responsables chargés de l’édition et d l’annotation des différents volumes, tous hommes et femmes de savoir et de probité, mais avec des nuances de style, de méthode et même de pensée : outre Madeleine et moi, Maurice Agulhon, Jean-Jacques Becker, Jacqueline Lalouette, Annick Wajngart-Taburet, Jean-François Chanet, Eric Cahm, Christophe Prochasson, Alain Chatriot, Vincent Duclert, Rémi Fabre, Alain Boscus, Marion Fontaine, Emmanuel Jousse, Fabien Conord… Qu’il faut tous remercier, avec nos éditeurs de Fayard (Denis Maraval, Sophie Hogg-Grandjean, Pauline Labey notamment), nos partenaires de la Fondation Jean-Jaurès (Thierry Mérel), nos nombreux aides de la SEJ et d’ailleurs, notamment pour la partie technique Ruben Muller.
6/ Maintenant que cette publication est achevée, quels sont les prochains chantiers de la Société d’études jaurésiennes ?
Le travail sur Jaurès continue : d’interprétation, de réflexion, pas seulement pour le connaître mieux, lui et son époque, entourage, adversaires, autres…, mais aussi pour penser avec lui, voire contre à l’occasion, pourquoi pas ?, mais rien ne s’arrête. Sa grande leçon est que l’histoire ne s’arrête jamais et est toujours en mouvement. Donc soyons-le nous aussi… Panthéonisé, Jaurès appartient à tous et n’a pas été embaumé.
Une des conditions communes pour le travail personnel ou collectif est que l’ensemble de ses textes, repris ou non dans les Œuvres, soit davantage accessible : notre prochain grand effort doit porter sur notre site Internet pour en faire un outil commode et accessible. Pour le reste, Cahiers Jaurès, livres, articles, conférences ou colloques des uns et des autres continuent, et c’est très bien ainsi. Attendez-vous à apprendre des choses neuves sur Jaurès.
Pour retrouver les informations sur l’ensemble des volumes, le site des éditions Fayard
Parmi les articles de presse évoquant la sortie de ce volume :
Dans l’Humanité : « Guerre à la guerre ! » le dernier tome des Œuvres de Jaurès
Le musée de l’Histoire vivante de Montreuil organise une après-midi de rencontres et d’échanges autour de l’histoire du combat pacifiste de Jaurès et de la gauche en 1911-1913.
Pour l’occasion, seront présentés plusieurs dessins de la manifestation du 25 mai 1913 au Pré-Saint-Gervais réalisés par Gaston Prunier, dont le musée a fait l’acquisition récemment.
Programme 14h -15h :
Projection Gaston Prunier, peindre avec humanité de Nicolas Eprendre, 52 min, 2021
15h30-17h30 Table-ronde : « Jaurès, les socialistes, la CGT, et le combat pour la paix 1911-1913 »
En partenariat avec la Fondation Jean-Jaurès, la Société d’études jaurésiennes et l’Office universitaire de Recherche socialiste.
Avec (et animée par) Adeline Blaszkiewicz-Maison (Albert Thomas et la question de la paix), avec Frédéric Cépède (Jaurès au Pré-Saint-Gervais et les photographies dans L’Humanité en mai et juillet 1913), Nicolas Eprendre (Gaston Prunier et la peinture du 25 mai 1913), Benoît Kermoal (La manifestation du 25 septembre 1911 à partir des photographies du fonds Renaudel de la Fondation Jean-Jaurès, et Éric Lafon (Les photographies du 25 mai 1913 prises par Maurice Branger)
Entrée libre dans la limite des places disponibles 31 bd. Théophile Sueur (parc Montreau) 93100 Montreuil
Les Cahiers Jaurès seront présents et vous attendent lors du Salon de la Revue qui se tient du 13 octobre au 15 octobre
Halle des Blancs Manteaux
48 rue Vieille-du-Temple
75004 Paris
Les horaires : Samedi 14 octobre de 10 à 20 h et Dimanche 15 octobre de 10 à 19 h 30
Venez nombreuses et nombreux pour vous procurer les exemplaires de note revue, vous abonner, discuter avec des auteurs et autrices.
6 octobre 2023 : Jaurès, vivant parmi les vivants
La Fondation Jean-Jaurès et la Société d’études jaurésiennes proposent une carte blanche, le vendredi 7 octobre à 16h30, dans le cadre des Rendez-vous de l’Histoire de Blois dont le thème en 2023 est Les vivants et les morts.
Avec Vincent Duclert, Mélanie Fabre, Elisa Marcobelli et Thierry Mérel.
Jaurès mort, assassiné à la veille d’une guerre que sa disparition précipite, est plus présent encore que s’il était vivant. Différemment mais intensément, objet de représentations multiples et souvent fidèles. Cette vie posthume ne dépend plus de lui, elle appelle les vivants à se mobiliser pour sa présence au monde. L’histoire et la philosophie au côté de la mémoire sont la clef de la postérité tout à fait exceptionnelle de Jaurès, d’une nouvelle vie qui n’en finit pas. En France comme en Europe, dans la sphère politique comme dans le monde de l’école, les multiples facettes de sa présence feront l’objet de cette carte blanche.